QVT , RSE, CSE : comment mettre ces outils au service du bien-être au travail ?

Voici maintenant deux ans que nous nous penchons sur le sujet du bien-être au travail, qui continue d’évoluer aussi bien du côté de la société civile que du côté du législateur, et des institutions. Ces derniers mois ont été importants avec les ordonnances dites Macron de 2017 (disparition des CHSCT, des CE, des délégués du personnel et création du CSE), la loi Pacte (mai 2019) ou encore la future loi santé travail.

En 2018, quand nous avons abordé ce sujet, je me suis vite rendu compte qu’il y avait comme une fracture entre la société civile qui parlait plus de bien-être au travail et les institutions qui parlent plus facilement de santé au travail.

C’est comme s’il fallait mettre un mur en béton armé entre ces deux notions. Et pourtant, pour moi, ces deux aspects me semblent à la fois complémentaires et indissociables.

La santé au travail dans sa conception traditionnelle se rattache aux grands secteurs industriels français et se traduit par des cotisations des entreprises à la branche AT/MP de la CNAM et de tout un système mis en place. Le bien-être au travail est une notion nouvelle qui date d’une bonne dizaine d’années. J’avais déjà donné dans d’autres articles la définition de l’OMS.

Victor Waknine, que j’ai invité à cette conférence, en donne ici la sienne. C’est un sentiment composé de 3 parties :
– Le sentiment d’utilité à l’entreprise
– Les compétences reconnues
– Le sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Avec ce cycle de conférences je souhaite continuer à créer des passerelles, des liens entre les différents porteurs de projet, et apporter dans l’enceinte du sénat la contribution de la société civile. Ils représentent le terrain. C’est actuellement là où tout va vite face à un monde du travail en souffrance.

Nous sommes dans cette fracture socio-économique, avec un pied dans l’ancien système qui portait ses valeurs et ses faiblesses, voire ses abus, et un dans le nouveau qui doit se redéfinir. Cela apporte de grandes souffrances qui revêtent la forme des risques psychosociaux. Pendant des années, un management au service d’une rentabilité financière exacerbée ont bouleversé tous les codes du monde du travail

Lors de cette conférence du 2 mars au Sénat, nous avons voulu continuer à questionner notre vie au travail, la gouvernance du travail, à redéfinir la place de l’humain dans l’organisation du travail, la place et le sens du travail notamment depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle voilà nos points de discussions qu’il est indispensable d’aborder de manière systémique car tout est lié.

Comment concilier performance économique et bien-être social ?

Comment réinterroger les gouvernances au travail ?

De nouveaux outils comme la QVT, la RSE et le CSE peuvent sans doute aider les entreprises à poser des actions mais ils sont parfois nouveaux, balbutiants et chaque entreprise a sûrement besoin de les adapter et de les croiser à sa propre culture d’entreprise.

Je parle d’outils et non de solutions parce que je suis persuadé qu’il n’existe pas une voie unique mais bien des voies qui peuvent répondre suivant les problématiques des entreprises, je dirai même, des entrepreneurs.

A cette conférence, j’ai souhaité mettre en avant 3 voies différentes pour essayer de retrouver un équilibre socio-économique avec mes invités.

– La voie du dialogue social, voire d’un nouveau dialogue social, avec le sociologue Philippe Emont co-fondateur et directeur général associé du cabinet AlterNego

– La voie des indices de mesure, avec Victor Waknine, président-fondateur du cabinet Mozart consulting, créateur d’un indice qui s’appelle l’IBET (Indice Bien-Etre au travail), créé pour être le contre point de l’EBIT (indice économique)

– La voie de l’inventivité avec les ressources existantes, la voie d’initiatives personnelles avec Anne Leclercq, directrice adjointe du centre hospitalier de Dieppe. Son témoignage méritait d’être soulevé quand on sait combien ce secteur est en grande souffrance.

Philippe Emont et Victor Waknine sont entrés dans le sujet Bien-Etre au Travail il y a plus de 10 ans maintenant, chacun de son côté, suite au scandale de France télécom.  A l’époque, aborder ce sujet, c’était en parler en tant que prévention de risque psycho-social (RPS). Le sujet était anxiogène et instruit à charge : à qui la faute ? questionne Philippe.

Il y a eu du chemin, des discussions, des réflexions et des actions depuis pour essayer de le comprendre, et de trouver de nouveaux paradigmes à travers la QVT, Qualité de vie au travail, mais le constat reste que le dialogue social est rompu de part et d’autre alors qu’il est un outil majeur. En France, nous avons un des coûts de conflit les plus élevés d’Europe, environ 3 % du déficit de croissance et qui entraîne avec lui le désengagement ou l’absentéisme des salariés.

La voie du dialogue social 

Philippe Emont commence son intervention en nous interrogeant sur notre formation au dialogue social, ceci pour mettre en évidence que nous n’en recevons pas. Il souligne que le premier constat dans un dialogue ou une négociation est de ne pas chercher la faute mais bien de trouver un chemin par rapport à un objectif.

Dans le travail, l’objectif, le cap, mot si souvent cité par les entreprises, est donné par le capitaine du navire, et ce nouveau cap va demander des transformations. Quid de celles-ci au sein de l’entreprise ? Un dialogue social n’a pas l’objectif de discuter un cap défini par la gouvernance en tant que tel, mais de négocier les modalités, les conditions sociales de ce même projet et d’en envisager des modifications de route.

Pour cela, Philippe souligne l’importance des corps intermédiaires qui par leurs compétences ont comme mission de rapporter à la gouvernance la faisabilité du projet et une vision de l’acceptation sociale des dispositions au vu du travail et des outils mis à disposition.

Philippe Emont souligne cependant une crise profonde des corps intermédiaires. Cela s’explique par le fait qu’en France, ils sont choisis par leur statut social et non reconnus pour leurs compétences. De plus, pour beaucoup d’entre eux, ils n’ont plus ce pouvoir de régulation. Ils vivent un déni de compétence.

La transformation est un acte normal dans une entreprise, la gouvernance est là pour donner le cap. Tout projet de transformation a un impact social. Comment accompagner les salariés ? Le dialogue social peut répondre à des sujets subjectifs comme les RPS, parce que, dans un DUER, on ne peut pas toujours noter en face des risques une solution qui convient à tous et dans un temps défini.

Un dialogue social dans son essence même de négociation suivant la définition d’un cap, d’une stratégie, reste le levier principal d’une bonne politique QVT / CSE.

Parfois certains dirigeants ont le dialogue social difficile, ils se sentent plus à l’aise dans un dialogue de chiffre. J’ai demandé à Victor Waknine comment il était possible de concilier performance économique et performance sociale ?

La voie des indices de mesure 

Victor souligne que si on parle Bien-être au travail, on doit parler mal-être au travail. Cette relation est indissociable.

Le coût du mal-être au travail pour l’économie française parle par de lui-même : 12% du produit intérieur brut.

Pendant des années, nos managers n’ont pas été formés à l’impact social du mal-être au travail.

Il a créé l’IBET pour se demander comment la performance sociale peut-être prise en compte au même niveau qu’une performance économique. Ici, Victor rejoint Philippe : une performance sociale permet d’exécuter une stratégie. Victor introduit le thème : performance socioiéconomique, en un seul mot, une performance qui permet d’être en prédictif et non en réactif parce que le réactif coûte plus cher .

Comment évaluer une performance sociale ?

Comme pour un corps humain on mesure les insuffisances. L’IBET se mesure à partir des dégradations et pour le corps social, on peut mesurer l’insuffisance managériale.

IBET + Taux de mal-être au travail = 1

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Les coûts impactent le résultat économique (EBIT en anglais). Par exemple, le coût du désengagement s’évalue par l’absentéisme et le turn-over.

L’engagement est cette énergie qui fait passer d’une intimité à une extimité (désir de rendre visibles certains aspects de soi jusqu’ici considérés de l’intimité)  dans l’objectif de participer à un collectif. Comment individuellement les salariés vont participer à un collectif de qualité ?

Pour retrouver de l’engagement, et face à une transformation due à un nouveau cap, il est important que l’employeur puisse formuler de nouvelles promesses en lien avec la transformation.

La QVT inclue une nouvelle forme de management, avec une vigilance à l’IBET et son référenciel : utilité / compétence / appartenance.

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A la recherche d’une nouvelle norme socioéconomique 

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Je conclue cette partie en invitant les auditeurs à aller consulter l’enquête Sumer, l’étude de la surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels, réalisée en analysant les remontées de plus de 1200 médecins du travail qui partagent ici des indices de comportements pathogènes.

A travers toutes ces recherches et ces besoins fondamentaux de transformations dans nos relations au travail, il existe une troisième voie, plus créative, plus personnelle.

La voie de l’inventivité 

Anne Leclercq nous fait part ici de son expérience. Tout est parti de son envie de changer un environnement professionnel basé sur des conditions difficiles et sur un environnement territorial précaire.

Historiquement, la ville de Dieppe est dans une région pauvre, aux facteurs épidémiologiques forts (tuberculose, méningite … ) un effectif historiquement sous doté et un déficit d’attractivité médicale.

Anne nous rappelle la lourdeur de la gouvernance d’un hôpital distribuée entre le ministère de la santé, la Haute Autorité de Santé, ARS, conseil de surveillance et chaine hiérarchique interne.

En 2018, à l’arrivée d’un nouveau directeur général, après une forte crise managériale, Anne est nommée, pilote de la QVT.

Elle ne savait par quel bout prendre ce sujet tant il lui semblait complexe. Elle s’est inspirée des travaux du think-tank, La Fabrique Spinoza et de ses expériences.

Elle a vite compris que le changement viendrait de l’intelligence collective et la première action était de mettre en place un atelier pour tester la volonté des équipes de travailler en collaboration. Une expérimentation « libérez votre créativité en équipe » incitait les équipes à se représenter de manière créative. Si la démarche pouvait paraître loufoque, le personnel a cependant répondu présent. Puis Anne a avancé de façon plus précise sur la QVT à l’hôpital en demandant aux 2 000 collaborateurs du C.H de répondre à cette question : « La QVT j’y croirai quand…. » ; les 7 000 réponses recueillies lui ont permis de construire un plan d’action.

Avec l’appui de l’ARACT, mais aussi de certaines organisations syndicales, l’originalité de la démarche vient du fait qu’elle cherche à emmener ce territoire, particulièrement marqué, dans une approche concertée, avec une approche systémique.

Aujourd’hui, les axes majeurs de la démarche s’articulent autour de l’accueil des nouveaux personnels, l’accompagnement des parcours professionnels, les irritants du quotidien, l’intelligence collective mais aussi le management, la communication et l’environnement.

Faute de moyens propres, elle recherche des ressources externes, auprès de la Ville mais aussi d’entreprises privées.

Anne veut faire de cette démarche une démarche territoriale, voire une expérience territoriale pilote.

Elle sait que ce dont elle a le plus besoin maintenant est d’avoir du temps et de l’espace : de l’espace, parce que le cloisonnement actuel des services nécessite des espaces conviviaux de rencontre, pour cultiver le collectif.

du temps aussi, pour tester, innover, au risque éventuel de dégrader temporairement -et de manière contrôlée- les indices de performance économique de l’établissement. Il faut permettre au personnel de sortir de l’urgence constante dans laquelle il est, pour travailler collectivement sur les organisations. « Les clés, ce sont eux qui les ont, c’est leur métier, ils le connaissent » conclut Anne.

Anne apporte ainsi un écho à l’intervention de Philippe quant à l’importance de reconstruire un dialogue constructif.

Tout un espoir !

« L’Espoir est un état d’esprit (…) C’est une orientation de l’esprit et du cœur (…) Ce n’est pas la conviction qu’une chose aura une issue favorable, mais la certitude que cette chose a une sens, quoi qu’il advienne. » Vaclav HAVEL

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